Si la matière première utilisée pour travailler le rhum provient forcément de la canne à sucre, elle peut prendre différente formes, dont chacune aura une incidence sur le mode de fabrication et exercera une influence sur le goût du spiritueux.
LE JUS DE CANNE OU VESOU
C’est l’âme des rhums agricoles, des clairins haïtiens, des cachaças brésiliennes. Pour exprimer le jus sucré de la canne, tout commence dans les plantations: les tiges sont coupées, à la machette, ou mécaniquement. Le travail manuel et harassant, le dos courbé, n’a jamais disparu complètement sur les petites exploitations ou sur les parcelles difficilement accessibles. Il faut trancher au plus près de la base de la plante, là où la teneur en sucre est la plus élevée. Un coupeur peut en amasser 2,5 à 4 tonnes par jour, quand une récolteuse mécanique en coupe 60 à 70 tonnes quotidiennes. Les ouvriers touchent souvent une prime en fonction du taux de sucre mesuré sur leur récolte : d’où l’intérêt pour eux de couper la canne à ras du sol.
Les cannes sont acheminées aussi vite que possible à la distillerie pour être traitées dans la journée
la fraicheur du jus en dépend.
Une fois coupées, les tiges se détériorent en vingt-quatre heures si la machine les a coupées en tronçons d’une vingtaine de centimètres, un peu plus si elles ont été récoltées entières à la main.
Le pourrissement se fait par les extrémités. Une canne laissée deux ou trois jours à l’abandon perd 50 % de saccharose en ce court laps de temps. C’est pourquoi les distilleries de rhum agricole se construisent toujours au milieu (ou à distance raisonnable) des plantations.
Dans l’atelier de préparation, les tiges sont défibrées dans le coupe-canne, puis écrasées dans des
broyeurs (les shredders), deux opérations qui augmentent le rendement de l’extraction. Elles passent
ensuite dans des batteries de moulins et sont souvent humidifiées entre deux afin d’extraire 95% du
jus. Ce jus extrêmement fragile ne se conserve pas et doit partir rapidement en fermentation c’est ce
qui explique que les pays non producteurs de canne ne peuvent distiller du vesou.
Le choix de la variété de la canne dépend bien sûr du terroir, du climat et du rendement agricole et
alcoolique, mais également des caractéristiques organoleptiques escomptées par le distillateur. On voit d’ailleurs apparaitre sur le marché, depuis quelques années, des rhums blancs monovariétaux qui permettent de mesurer l’importance de la matière première sur le goût final du produit.
MIEL, SIROP, MÉLASSE
Le miel est simplement un jus de première presse qui est doucement chauffé et se concentre par évaporation de l’eau. L’indication géographique “rhum du Guatemala” rend obligatoire son utilisation. Le sirop suit le même principe, en cuisant moins longtemps. Cependant, c’est surtout la mélasse, résidu incristallisable noir et visqueux, du raffinage du sucre qui est utilisée dans l’élaboration du rhum. Près de 95 % de la production mondiale de ce spiritueux (hors cachaças) en est issue, et cela n’a rien d’un hasard. Historiquement, il s’agissait d’abord de valoriser un important volume de déchet sucrier (une tone de canne produit 30 kg de mélasse) en le transformant – opération plutôt noble et réussie convenons-en.
Cependant, la mélasse présente un autre avantage sur le jus de canne: elle se conserve. Longtemps… Elle voyage sans frémir jusque dans les contrées où la canne ne pousse pas, et si l’on produit aujourd’hui dans presque tous les pays du monde, c’est à la mélasse qu’on le doit. Historiquement toute distillerie s’appuyait sur une sucrerie, la première recyclant les mélasses de la seconde. Aujourd’hui, cette intégration est devenue rare sur la carte du rhum.
Parmi les distilleries-sucreries officiellement autosuffisante citons Appleton et Worthy Park en Jamaïque, Santa Teresa au Venezuela.
Certaines îles parmi les plus anciennes productrices de rhum (Porto Rico, Sainte-Lucie, la Grenade, les Bahamas…) doivent d’ailleurs importer aujourd’hui leur mélasse pour faire face à leurs besoins. Le Brésil ou le Guyana en sont d’ailleurs de gros exportateurs. La mélasse sert également à produire l’éthanol et les agrocarburants, mais c’est une autre histoire.
Chaque distillerie achète sa matière première en fonction de spécification précises – viscosité, richesse en sucre, en cendre, acidité… C’est la garanti de la constance du goût du rhum produit.
Une courte vidéo signée par Le Bar de l’Ours qui met clairement en évidence les différents styles de Rhum.